Article 8 — Le temps de vivre
Prenez le temps de vivre dans Hardi
BLOG HARDI
Bonjour à tous.
Dans l’article de cette semaine, j’aborde ma conception de la temporalité en JdR, et la façon dont hardi vous incite à l’appliquer.
Cet article est polémique, dans le sens où mon point de vue peut être différent du vôtre et où mes arguments sont tout à fait réfutables. Je n’essaye pas ici de vous convaincre que j’ai raison, j’y expose juste les éléments qui précisent en quoi Hardi diverge de l’approche majoritairement choisie par les autres JdR Med-Fan.
Trop vite, trop tôt
Ces quatre mots résument assez bien mon sentiment sur la temporalité vécue par les personnages et ressentie par la tablée lors des parties med-fan habituelles : tout (rencontres, quêtes, déplacements, passage de niveau…) arrive rapidement ou se réalise immédiatement ; ce qui donne souvent à penser que l’on picore un “résumé” de l’histoire de nos personnages (où n’existent que les moments marquants ou intéressants de leur histoire) plutôt que de “vivre” leur vie.
La raison en est simple : il est compliqué de réunir une tablée de 4 à 6 joueurs et joueuses, donc personne n’a envie de séances “inutiles”, où l’on vivrait les temps morts et les périodes creuses de l’histoire de son Aventurier·e.
Cela conduit la plupart du temps :
à ellipser les voyages (je ne connais que The One Ring / Adventures in Middle Earth qui en fasse une phase de jeu importante),
à avoir des soins magiques qui soient immédiats,
à avoir des passages de niveaux dignes de World Of Warcraft,
et à boucler des campagnes entières (du niveau 1 à 6 ou 10) en … 1 mois de temps intradiégétique (le temps qui passe dans la fiction, pour vos personnages).
Or, si je suis conscient que personne (pas même moi) n’a envie de passer des séances de jeu à voir son perso couper du bois pour l’hiver ou vanner des céréales, ne serait-il pas intéressant que les personnages, eux, vivent ces périodes de creux, ces journées paisibles et agréables, loin des massacres que vous leur infligez au quotidien ?
J’y vois plusieurs intérêts, que je vais aborder rapidement : un ancrage plus réaliste dans l’univers de jeu, et par contraste, une mise en exergue des moments d’aventure, donnant plus d’épaisseur à vos personnages.
Faire plus vrai
Le premier aspect d’une temporalité ralentie est la vraisemblance de l’univers de jeu.
[Cela peu semble paradoxal vu que l’on joue dans des univers Med-Fan imaginaires, mais ce qui fait leurs succès est justement la confrontation du réaliste (les notions de temps, gravité, géographie… ont le même sens qu’en vrai) et du merveilleux. Inversez la temporalité, faites faire le yoyo à la gravité et danser la Macarena aux frontières et continents, et soudain ce n’est plus du Med-Fan, c’est du Nawak avec des dragons].
Bref, tout Med-Fan qu’il est, pour une meilleure immersion, l’univers doit nous sembler réaliste sur les points que la tablée considère d’emblée comme les plus terre à terre et similaires à notre réalité.
Passer de niveau
Or, nombre de jeux induisent déjà une disparité lors du passage de niveau, qui est vécu comme une sorte d’événement magique qui *DING ! * octroie immédiatement à votre Aventurier de nouvelles forces et capacités. Cette incongruité est facilement acceptée, car elle arrange notre côté Gros-Bill, mais à y réfléchir, elle est dissonante : votre héros sue, saigne et respire comme vous, il y a donc peu de raisons pour que d’un coup d’un seul, il soit plus fort, bénéficie d’une nouvelle capacité ou aie accès à de nouveaux sorts.
Quiconque a déjà fait de la musculation le sait, ce n’est pas en une journée ni une semaine (ni même en un mois) que vous allez vous transformer en Schwarzenegger. Il est donc anormal que votre Aventurier gagne 1 point de FORce parce qu’il aura manié l’épée toute la matinée.
Pour réintroduire du réalisme, dans Hardi, le passage de niveau n’est pas une progression magique et immédiate de vos capacités, mais plus une indication que votre Aventurier maitrise suffisamment ses capacités actuelles pour se sentir en mesure de les améliorer ou d’en apprendre de nouvelles.
Il lui faudra donc trouver et payer quelqu’un pour l’entrainer ou l’instruire, et ce pendant environ quinze jours. Outre une temporalité plus réaliste, cela participe aussi à donner une utilité à l’argent (voir l’article 5 : les sous).
Guérir
L’autre point sur lequel Hardi essaye d’ancrer une temporalité plus réaliste est la guérison des blessures. C’est un choix de design, qui ne plaira pas forcément à tous, mais qui est essentiel à mon intention de voir passer le temps en cours de campagne.
Sans rentrer dans les détails, chaque blessure (reçues en cas de coup critique) va demander du temps pour guérir :
Les blessures légères (les 9 premières) guérissent toutes seules à raison de 1 à 2 par nuit de repos.
Mais les blessures plus graves vont demander des soins, puis une période de convalescence nécessitant au moins 1d6 jours par blessure grave. De quoi coller les plus blessés au lit pendant quelques semaines. Ça reste rapide en termes de métabolisme (plantez-vous un couteau dans le bide, on verra si vous refaites le mariole sous quinzaine) mais ça me semble déjà mieux que Hop, potion de soin, guéri !
Et pendant ce temps, pour les autres ?
Pour occuper les PJ pendant que leurs compagnons guérissent (car c’est cela qui va générer le plus de temps libre pour le groupe), Hardi leur propose deux options :
Travailler. Que ce soit pour aider dans aux champs, renforcer la garde ou faire de petits boulots çà et là, cela permet à un Aventurier d’engranger chaque jour, net (le train de vie est automatiquement déduit), autant de pièces d’argent que son Niveau.
S’entrainer. Une fois par Niveau, cela permet à un Aventurier de payer un professeur durant une quinzaine de jours afin de pouvoir tenter un test pour gagner une progression supplémentaire. Cela concourt également à donner un intérêt à l’argent : plus le professeur est compétent (et donc cher), plus vos chances de succès sont élevées.
Ressentir les creux pour profiter des sommets
Ainsi, il arrivera donc à vos Aventuriers d’avoir un peu de temps à tuer, pendant que l’un des leurs se retape.
Rassurez-vous, cela n’arrive pas non plus à chaque séance : Hardi incite les joueurs à la prudence et offre à leurs personnages des moyens d’éviter les blessures (en se protégeant, en utilisant un bouclier…). Sur les 40 sessions jouées, nous avons eu deux périodes de “temps calme”, d’environ 15 jours chacune.
Évidemment, il n’est pas question d’endormir la tablée en faisant jouer en détail ces périodes : elles sont résumées, traitées narrativement, et rarement jouées.
Cela dit, il est important de ne pas simplement les bâcler.
Prendre le temps de vivre
En effet, ces moments sont des fenêtres privilégiées durant lesquelles chaque joueur devrait avoir l’occasion de faire tisser des liens à son personnage.
Amitiés, romances, implication dans une communauté… les moments de “creux” dans votre partie sont en fait les moments forts dans la vie sociale de vos personnages.
Ne les négligez pas, car ce sont autant d’opportunités pour vos Aventuriers de trouver l’amour, de fonder une famille, de s'intégrer dans un lieu, de voir passer les saisons, de créer des liens… qu’en bon MJ, vous pourrez réutiliser dans la suite de la campagne ; car sauver une jeune femme en détresse ne sera jamais aussi crucial que lorsqu’il s’agit de la mère de leurs enfants.
Bref, en ralentissant la temporalité, vous permettez à vos Aventuriers d’être autre chose que des murderhobos qui speedrunnent les donjons, vous leur permettez tout simplement… de vivre.
J’espère que cet article aura su susciter votre intérêt et vous permettre d’aborder ma vision des choses. J’aurais encore beaucoup à dire, mais il est déjà bien long. Je reste à votre disposition en cas de question.
À la prochaine, prenez soin de vous, prenez le temps de vivre et … soyez Hardi !